A Christmas Carol…

Comment naît une histoire…

Noël arrive petit à petit, et bien que la morosité soit présente (on ne va pas se mentir : les nouvelles réjouissantes ne sont pas légion), la magie de cette fête s’empare tant bien que mal des petits comme des grands.

Les rues s’illuminent, les décorations foisonnent ; dans les maisons chacun s’applique à décorer le sapin et à choisir les cadeaux pour ses proches. Noël reste une parenthèse enchantée qui nous fait entrer dans l’hiver avec du baume au coeur et cette envie d’enfant de croire que tout est possible.

La semaine dernière, alors que j’accrochais les décorations sur mon sapin et que j’écoutais une de mes playlists de chants de Noël (et n’en déplaise aux rageux, vive Mariah Carey !), je me suis retrouvée à penser au conte de Noël de Charles Dickens.

Ma première rencontre avec Ebenezer Scrooge et Bob Cratchit date de mon enfance : avec le Noël de Mickey, une version Disney du célèbre Christmas Carol, qui célébrait la magie de Noël mais était aussi, et même surtout, une critique féroce de la société. En accrochant une des décorations, j’ai repensé à mes Noëls d’enfant. Puis, tout à coup, je me suis dit : « Je vais faire ça, un conte de Noël, avec un Noël passé, un Noël présent et un Noël futur. » Bien sûr, je ne prétends pas arriver à la cheville du grand Dickens, donc j’espère que vous serez compréhensifs, et que vous vous régalerez avec mes trois histoires : l’une un peu nostalgique, la seconde plus réaliste, et la dernière clairement plus sombre.

Nous allons donc démarrer aujourd’hui avec l’Esprit des Noëls passés. Je vous souhaite une bonne lecture.

Un conte de Noël, partie 1…

L’esprit des Noëls passés

On était à nouveau en décembre, l’année arrivait sur sa fin et les mois avaient filé vite, très vite, peut-être trop vite, mais de toute façon on ne pouvait rien y faire, alors autant profiter du retour des fêtes et les savourer. Mais la magie de Noël ne s’installait pas ! Les mauvaises nouvelles s’entassaient comme des bûches en préparation d’un feu de joie, et tout le monde se demandait quelle étincelle allait mettre le feu à ce qui ressemblait plus à une poudrière au bord de l’implosion qu’à une flambée salutaire.

Je n’échappais pas vraiment à la morosité ambiante, et si j’avais installé toutes mes décos de Noël, j’avais l’impression qu’il me manquait quelque chose. Même les christmas carols ne semblaient pas réveiller mon âme d’enfant, moi qui pourtant avais dix ans d’âge mental du premier au vingt-cinq décembre. Nous étions le dix du mois, les cadeaux étaient emballés au pied du sapin, l’odeur des biscuits à la cannelle, que j’avais fait cuire quelques heures plus tôt, imprégnait l’appartement, et je regardais la photo en noir et blanc de ma grand-mère qui trônait sur un des meubles de la salle à manger. J’étais assise dans le canapé, le chat ronronnait à mes côtés, caché sous un plaid lourd et doux, et la fatigue commençait à me faire cligner des yeux.

Soudain, les lumières ont semblé faiblir, comme une flamme qu’on étouffe… et une forme fantomatique s’est matérialisée devant moi, semi-transparente, je pouvais même voir les lumières du sapin clignoter au travers de ce voile vaporeux.

Je me suis frottée les yeux, me suis pincée, mais la forme était encore là, et elle semblait même se renforcer, gagner en substance. J’étais seule à la maison ; impossible d’appeler mon mari ou mon fils pour savoir si je devenais folle ou si on devait tous partir en courant devant un fantôme ! Je n’osais plus bouger, attendant je ne sais quoi. Un bruit, un mot, un signe.

Alors le fantôme s’approcha tout doucement et je reconnus le visage de ma grand-mère maternelle, qui nous avait quitté quand j’avais douze ou treize ans.  » Mon agneau doré… »

C’était bien elle, je ne rêvais pas, il n’y avait qu’elle qui m’appelait comme ça, avec cette petite voix un peu chevrotante qui trahissait autant ses origines roumaines que le passage des ans.

« Mamie ?

-Oui, c’est bien moi. Je suis le fantôme de tes Noëls passés. Je suis venue te voir pour te mettre un peu de baume au coeur, on dirait que tu en as besoin.

-Je crois, oui.

-Tu viens, ma chérie. On y va ? « 

Et j’ai saisi la main pâle qu’elle me tendait. En un claquement de doigts, nous nous sommes retrouvées à la campagne, dans la Nièvre, devant la maison toute simple qui avait été la sienne avec mon grand-père.

Il faisait bien froid, on le devinait aux fumées blanches qui s’échappaient des cheminées et se diluaient dans le vent d’hiver. Plusieurs voitures étaient garées en face de la maison, et je reconnus sans peine celles de mes deux oncles, les frères de ma mère, ainsi que celle de mes parents, une Volvo break grise robuste qui nous emmenait partout. Les soeurs de ma mère n’étaient pas là, ou plutôt n’étaient plus là, les années et des disputes intestines ayant entraîné une cassure que certains acceptaient, d’autre pas ; c’était la vie d’une grande famille, faite de joies et de peines, comme souvent chez les autres aussi.

J’hésitais à approcher, mais ma grand-mère me poussa vers l’entrée en me gratifiant de son sourire si doux.  » Vas-y, personne ne peut te voir. »

Alors je me suis faufilée jusqu’à la fenêtre de la cuisine, et j’ai vu ma mère et mes deux tantes, les femmes de mes oncles, occupées devant les fourneaux. Ça épluchait, ça coupait, ça ouvrait le frigo et allumait les brûleurs à gaz pour mettre à cuire pommes de terre pour la purée, haricots verts et marrons. Dans le four, une volaille farcie rôtissait lentement, copieusement arrosée par intermittence de sa graisse fondue dans le plat. Les odeurs embaumaient la maison et chatouillaient les estomacs… Il faisait chaud dans cette cuisine embuée, et les conversations joyeuses se mêlaient aux cliquetis des couteaux et aux bruits des casseroles.

Dans le garage, mon père ouvrait les huitres, des dizaines d’huitres : des fines de Claire, des pieds-de-cheval de Cancale. Il vidait les bourriches pour étaler les bivalves sur des grands plats argentés qui attendraient dans le froid du garage que les convives s’installent à table pour les déguster. Entre deux ouvertures, il en avalait une et la faisait glisser avec une gorgée de vin blanc, régulièrement fourni par mon oncle Pierre qui venait voir de temps en temps où il en était de son labeur festif.

Dans la salle à manger, la table était mise : on avait sorti la rallonge et remonté les chaises qui passaient le reste de l’année à la cave. La vaisselle des grands jours ornait la table, les verres à pied aussi, tout était prêt pour la dégustation. Mon grand-père mangeait sa rituelle soupe au bout de la table, il remangerait avec nous à l’heure voulue, mais la soupe, c’était sacré. Dans le coin de la pièce, le sapin était posé sur le poële en fonte qui ne servait jamais, ce beau sapin décoré par… je n’ai jamais su en fait. Je ne m’étais jamais posé la question. Il était là, paré pour accueillir les cadeaux du Père Noël, auquel je croyais encore à moitié. C’était lui le personnage central ce jour-là.

Ma grand-mère était assise dans son fauteuil (oui, elle avait SON fauteuil, un fauteuil électrique dans lequel elle aimait regarder la télé), et elle souriait comme une enfant en contemplant sa tribu réunie. Mes deux oncles étaient là, autour de la table, en train de discuter, un verre à la main, tandis que mon frère et ma cousine jouaient à côté, et que mon grand cousin attendait que les heures passent, c’était un ado !

Quant à moi, je vadrouillais entre ma grand-mère, qui me caressait tendrement la tête chaque fois que je venais la voir, le sapin qui sentait bon la forêt, et la cuisine, dans laquelle j’allais chiper un petit quelque chose à grignoter en attendant l’heure du repas.

Et quel repas ! Il y avait toujours bien trop à manger ! Huitres, foie gras, saumon, viandes avec leurs légumes, fromages et desserts, le tout arrosé de vins et de champagne. Tous les convives finissaient le repas gavés comme des oies ! C’était une fois dans l’année après tout, on n’allait pas se priver.

Ma grand-mère fantôme à mes côtés, je regardais tout ce petit monde, joyeux, un peu ivre aussi mais plus que tout heureux d’être là, en famille, pour ce moment qui était unique dans l’année, tant les vies des uns et des autres ne leur permettaient pas de se retrouver le reste du temps. Les disputes, si il devait y en avoir, reprendraient après la trêve des confiseurs ! Un peu de musique réveillait parfois la fin du repas, et les danseurs poussaient la table pour swinguer en rythme. Mon frère, ma cousine et moi nous frottions les yeux de fatigue, mais l’envie était grande de rester dans la salle à manger.

Car les cadeaux n’étaient toujours pas là ! Le Père Noël se faisait attendre, comme à chaque fois. Finalement, recrus de fatigue, nous acceptions d’aller nous coucher dans la chambre qui faisait face à celle des grands-parents, bercés par le brouhaha des « grands » qui souvent clôturaient ces retrouvailles en jouant au rami, avant de monter dans leurs voitures respectives pour rouler au pas jusqu’au petit motel situé quelques kilomètres plus loin, et qui les accueillait tous les ans pour digérer ces agapes arrosées jusqu’à plus soif. La maison retombait alors dans le silence, et seules les lumières clignotantes du sapin subsistaient dans la salle à manger, où mon cousin ronflait, les pieds dépassant du lit de camp dans lequel il était cantonné.

C’était la première fois de ma vie que je voyais enfin ce qui se passait à partir du moment où les rires et la musique avaient disparu. Allais-je voir celui qui venait déposer les cadeaux, mon grand-père peut-être, remontant de la cave … ?

Ma grand-mère fantôme, Esprit des Noëls passés, se tenait à mes côtés, et son grand sourire irradiait, comme si, à travers le temps, elle voulait me faire comprendre qu’elle était toujours là, avec nous. Mes pensées revinrent au présent, et, alors que je laissais mes yeux glisser sur les branches du sapin, je pensai à tous ceux qui n’étaient plus là… mes oncles, mes tantes, mes grands-parents, mon cousin aussi. Et le mirage de ce Noël me fit venir les larmes aux yeux.

Soudain, ma grand-mère me serra la main. Je vous le jure, le l’ai senti ! Sa main fine et ridée, débordante d’amour. Et, alors qu’elle se détachait de moi pour se rapprocher du sapin, ils se matérialisèrent tous petit à petit : mon grand-père Hippolyte, mes tantes Maria et Andrée, mon oncle Pierre et son fils Stéphane, et mon oncle Léon, que tout le monde appelait Poui-Poui, fantômes diaphanes qui se tenaient à côté de leur femme, mère et grand-mère, et me faisaient tous un énorme, un immense sourire.

Je voulus m’approcher pour les toucher du bout des doigts… et je me suis retrouvée dans mon canapé. Il était trois heures du matin, le chat dormait toujours, collé contre ma jambe, j’entendais sa respiration légère et rassurée. Je me suis étirée un peu, mon dos n’ayant pas vraiment apprécié ce sommeil en position assise, puis je me suis levée pour éteindre les lumières du sapin avant d’aller dans mon lit. Est-ce que tout cela était vrai, ou bien avais-je rêvé ?

Mon regard s’arrêta sur une branche avant que j’appuie sur l’interrupteur, et je découvris alors une décoration qui n’était pas là quelques heures plus tôt. Il s’agissait d’un petit ange en tissu blanc et or, un de ceux qui ornaient le sapin chez mes grands-parents. Je ne l’avais pas accroché là, je n’avais même jamais eu cette décoration. Je l’attrapai d’une main tremblante et vis le tissu un peu jauni par le temps ; puis je le remis à sa place, sur la même branche, et j’entendis tinter une clochette qui se trouvait sur une branche à côté.

Je lançai dans la nuit un timide « Bonne nuit », et la cloche sonna une seconde fois. J’entendis alors une réponse ténue, une voix chevrotante que j’aurais reconnu entre mille, et ma grand-mère me répondit : « Joyeux Noël, mon agneau doré. »

On se retrouve la semaine prochaine pour L’Esprit des Noëls présents.


Commentaires

Laisser un commentaire